mercredi 27 août 2014

La paix est possible

Par Michel Cibot, Délégué général

Les bruits de guerre n’en finissent pas de tourmenter le monde en ce mois d’août 2014. Ukraine, Gaza, Irak, Syrie, Mali… Les experts et les diplomates, apparemment surpris à chaque poussée de fièvre, rivalisent de commentaires et propos savants sensés apporter des solutions à leurs gouvernements. Ils passent de conflit en conflit et le tourbillon continue de jeter des millions de pauvres gens sur les chemins de l’exil. Le désir de paix de ces victimes est profond et ils meurent en attendant des solutions qui ne viennent pas. Pourtant, la paix est possible parce que les moyens ne manquent pas pour qu’elle triomphe. Moyens financiers (reconvertissons ceux des guerres !), moyens de communication, de rencontre, de médiation et autres, qui atteignent des niveaux de perfectionnement jamais envisagés auparavant.
Alors, que nous manque-t-il ? 
Sans doute une conviction réelle et sincère qui se traduise au jour le jour dans le champ de l’action publique, de la gestion des affaires humaines, y compris des entreprises. Une conviction qui répondrait à une réalité concrète mieux comprise. Nous pourrions l’exiger de tous nos élus et des nos gouvernants en premier.
Cette réalité, beaucoup la nient mais elle s’obstine, comme toujours, s’agissant de la réalité !
La réalité dont nous voulons parler tient à un fait dominant : notre monde est configuré, formaté, déterminé, en partie essentielle, par une « grande menace », celle de l’arme atomique qui peut exterminer toute l’humanité en quelques minutes. L’arme nucléaire est actuellement la seule arme de destruction massive à être opérationnelle immédiatement et en permanence.
En ce mois d’anniversaire des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki (6 et 9 août 1945, rappelons-le…) écoutons le philosophe Günther Anders* : « Il est indiscutable que le 6 août 1945 a été une rupture […] et que cette rupture a été la plus nette de ma vie »…D’autres ont parlé d’évènement fondateur d’une ère nouvelle. Günther Anders évoque, au regard d’un tel fait perpétré par des humains, ce qu’il appelle le « décalage prométhéen » qui signifie qu’entre certains actes accomplis par ces humains et la compréhension qu’ils sont en mesure d’avoir de leurs propres actes, une faille profonde s’installe qui conduit à des dénis parfaitement irrationnels qu’il conviendrait d’analyser.
Cette rupture conduit depuis bientôt 70 ans à un déni majeur dans nos sociétés contemporaines qui ne veulent voir dans l’arme atomique qu’un outil de dissuasion. Anders a commencé une explication : « Il s’agit d’actes (l’utilisation d’armes nucléaires à Hiroshima et à Nagasaki), d’un tel ordre de grandeur que […] les tentatives pour se mesurer à eux psychiquement doivent nécessairement échouer […] Là où il s’agit de choses aussi colossales, même la perception se met en grève »… 
Telle est la situation de notre monde qui continue à guerroyer comme au temps où les armes nucléaires n’existaient pas. Le livre Arrêtez la bombe ! publié par Le Cherche Midi approfondit cette analyse.

Auschwitz et la Shoah dépassent l’entendement moral. Celles et ceux qui ont rendus possible la Shoah, celles et ceux qui ont fermé les yeux et même la nient aujourd’hui, nous répugnent heureusement et cela nous motive à agir pour une monde de paix qui se donne les moyens de prévenir de tels forfaits. Malheureusement, l’incandescence fulgurante et le tonnerre assourdissant d’Hiroshima et de Nagasaki nous aveuglent encore et nous rendent sourds.
Anders avance là aussi une explication, certes inachevée mais intéressante : nous serions débordés par la perfection de nos machines, donc aussi par l’efficacité parfaite de la puissance des armes nucléaires. Cet argument a du poids dans notre culture actuelle de la performance…et quand le psychanalyste Ghyslain Lévy évoque une « ivresse du pire » nous devons réfléchir une peu plus que nous ne l’avons fait jusqu’à présent à ce que nous voulons pour l’avenir et nous dire que ni nos comptabilités, ni nos processus fonctionnels ni nos organigrammes sophistiqués, aussi parfaits soient-ils, ne nous seront d’aucun secours en l’état ! Il faut d’autres éclairages, d’autres recherches, d’autres volontés, d’autres implications, d’autres partages et une autre fermeté dans nos convictions.
Alors, comment vivre avec ce pouvoir de destruction totale et le regarder en face pour qu’une nouvelle organisation du monde voie le jour, une organisation qui repose sur une culture de la paix ?

« Tu n’as rien vu à Hiroshima » répète Marguerite Duras dans son chef d’œuvre, Hiroshima mon amour dont Alain Resnais a fait le film que l’on connaît. Elle a expliqué cette réplique en disant que seuls ceux qui ont vécu le bombardement peuvent savoir. Mais il faut pourtant transmettre le message aux générations futures sans répéter la même tragédie qui serait pire avec les moyens d’aujourd’hui. Le film a cette ambition…
C’est aussi pour cela que nous avons, avec l’Institut Hiroshima Nagasaki, traduit et publié des témoignages de survivants (les Hibakusha).
Paradoxalement, notre mode de raisonnement scientifique fondé sur l’expérimentation, si efficace depuis plusieurs siècles, perd de sa pertinence avec l’arme nucléaire. Nous sommes en présence d’une expérimentation qu’il ne faut pas recommencer, sauf à rendre la planète impropre à toute vie humaine, à la polluer partout et pour des millénaires. Nous sommes donc tenus de comprendre à partir des deux premières expériences qui doivent être les dernières !

Anders nous aide, là encore : il interroge la perfection technique de l’arme nucléaire et se demande ce qu’il adviendrait si elle nous échappait, si elle échappait au contrôle humain, aussi ténu soit-il aujourd’hui. Comment ne pas penser à ce qui se passe depuis le 11 mars 2011 à Fukushima où les moyens des hommes sont apparus bien dérisoires au regard de la machine emballée comme un cheval fou ?… Le progrès scientifique, technique et culturel permet aux hommes des réalisations et des prouesses extraordinaires, notamment dans les domaines des communications, de la médecine, de l’alimentation, de l’énergie et bien d’autres. Il a aussi permis la bombe atomique …mais en même temps le bon sens a conduit à l’adoption du TNP (Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires) qui prévoit l’élimination de ces armes… Éternel dilemme. Notre défi d’aujourd’hui est bien d’éviter que la machine ne nous échappe car, dit Anders, notre puissance est trop grande pour nous…
Il ne s’agit pas de vivre avec ce pouvoir menaçant mais bien de le supprimer. Nous ne pouvons pas compter sur d’autres expériences. Notre génie inventeur tient là un grand terrain d’exercice…
Remarquons aussi que le pouvoir nucléaire est concentré dans quelques mains…il constitue de facto la matrice de tous les pouvoirs et nous pouvons ainsi mieux comprendre comment notre République devient monarchique dans un tel contexte… Éliminer les armes nucléaires, comme notre pays l’a décidé en ratifiant le TNP est aussi un moyen de redonner à la démocratie républicaine le souffle dont elle semble manquer dans sa traversée actuelle des marécages de l’argent roi et de la guerre sans fin…

L’AFCDRP n’a évidemment pas de solutions simples pour sortir facilement de ces dilemmes… mais quelques suggestions :

1 – VOULOIR
Vouloir la paix, le dire et prouver sa volonté en proposant des initiatives concrètes fortes. Cette volonté, nous l’attendons d’abord des États et de leurs diplomaties mais également de l’implication des élus, des citoyens, des ONG, de toutes les institutions dont ils ont la charge.

Les PLACP (Programmes Locaux d’Action pour une Culture de la Paix) proposés par l’AFCDRP, sont de bons outils... 
Les États réunis l’an dernier à Oslo et cette année au Mexique puis à Vienne en décembre ont fait se lever un vent d’espoir… 
Il n’est pas nécessaire de réussir pour entreprendre ce type d’actions. Il faut une impulsion de départ, nous pouvons l’exiger de tous les acteurs de la vie publique.

2 – ACCEPTER
Vouloir la paix, c’est aussi accepter de voir Hiroshima et d’être confronté à la réalité de notre pouvoir d’extermination par les armes nucléaires, soit en répondant à l’invitation permanente des maires des deux villes japonaises frappées par des armes atomiques, soit en développant des moyens de connaissance de cette réalité et en produisant et organisant des livres, des films, des expositions, des conférences, des débats, des actions culturelles.

3 – UNIR
L’enjeu est tel qu’il transcende toutes les différences et appelle à la création d’un espace commun. La diversité est nécessaire à la paix et c’est justement elle qui doit produire un sentiment d’appartenance globale à la communauté terrienne. Stéphane Hessel et Edgar Morin ont parlé de « Terre patrie » et suggéré qu’une instance soit créée spécialement. Les médias devraient contribuer à l’émergence de ce pôle d’unité.

4 – ÉDUQUER
Enseigner la réalité historique. Faire de la réalité des armes nucléaires un élément clef de l’éducation humaine, à tous âges, en montrant les voies de l’espoir.
Notre monde actuel doit beaucoup à l’éducation, à l’école républicaine, à la formation continue. Sa survie passera aussi par l’enseignement, d’autant que nos actions en faveur d’un développement durable sont d’ores et déjà largement partagées, étudiées à l’école, au-delà des considérations politiciennes et n’auront de sens, finalement, que si la question des armes nucléaires est abordée dans les mêmes cadres avec courage, créativité et lucidité. L’émergence en cours d’une Culture de la Paix, sous les auspices des Nations Unies, est encourageante. Nous devons redoubler d’efforts pour que cette notion novatrice soit enseignée partout car elle n’est pas encore assez connue et ses applications concrètes le sont encore moins. Là encore, les médias ont une grande responsabilité en la matière…

5 – PRÉVENIR
« La résistance à la guerre nucléaire sera préventive ou ne sera pas… »**. Nous devons donc travailler à une organisation des sociétés humaines capable de rendre la vie plus sereine, plus sûre. Cela signifie aussi réduire, voire supprimer le fossé qui sépare les hommes selon leur richesse matérielle. Combler ce gouffre qui sépare les trop riches des trop pauvres comme le Pape François l’a rappelé dans son homélie du 15 août en Corée du Sud, après d’autres grandes figures telles que Mandela par exemple, qui doivent nous inspirer davantage dans nos pratiques quotidiennes. Ne nous contentons pas de les admirer, engageons-nous dans la Résistance préventive à la grande menace nucléaire…
« La grande paix du monde est possible » disait Jean Jaurès…

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* Lire L’obsolescence de l’homme, éditions de l’encyclopédie des nuisances ; Visite dans l’Hadès, éditions Le bord de l’eau ; La violence oui ou non, éditions Fario.
**Little boy, récit des jours d’Hiroshima, Dr Shuntaro Hida, éd .Quintette/ Institut Hiroshima Nagasaki, 1985.

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