mercredi 5 mai 2010

Discours de Daniel Fontaine à la Conférence de Mayors for Peace, ONU (New York)

Texte intégral de l'intervention de Daniel Fontaine, Maire d'Aubagne et Président de l'AFCDRP, lors de la Conférence organisée par Mayors for Peace au siège des Nations Unies à New York, le 4 mai 2010.

L’humanité va entrer dans la 4ème décennie pour le désarmement. Quarante ans, c’est très bref pour rompre avec des millénaires de culture guerrière. Quarante ans, c’est aussi très long dans une époque qui voit se succéder, à rythme soutenu, les bouleversements de tous ordres.

La culture guerrière est intimement liée à l’ignorance, c’est une conviction profonde. Elle est aussi grandement liée au refus de partager les richesses de notre planète de manière équitable. Gandhi disait à ce sujet : « Il y a assez de tout dans le monde pour satisfaire aux besoins de l'homme, mais pas assez pour assouvir son avidité ». Qu’on l’accepte ou pas, c’est par le conflit que l’on traite le plus souvent ce paradoxe fondamental.

Or, l’une des exigences premières des citoyens en direction de leurs maires, c’est justement d’apaiser ou de prévenir les conflits. S’ils peuvent jouer un rôle au niveau des enjeux internationaux, qui auront forcément des conséquences dans les villes qu’ils gèrent, c’est de leur devoir d’agir.

Qu’entendent les maires à l’écoute des citoyens? Principalement les difficultés du quotidien, les problèmes pour se loger, pour travailler, pour vivre ensemble. Je crois pouvoir affirmer que c’est le cas partout dans le monde, comme c’est le cas en France : les problèmes sociaux et économiques sont au premier rang des inquiétudes.

Mais ces citoyens-là ont également une connaissance très précise des enjeux majeurs pour les décennies à venir. Ils ont une opinion à donner, y compris sur des sujets sur lesquels on ne les a jamais consultés. La démocratie, nos démocraties doivent encore évoluer.


J’en veux pour exemple le travail de fond mené dans la ville dont je suis le maire. Nous essayons de développer la participation des citoyens sur des sujets généralement réservés aux élus. Cela concerne l’utilisation du budget de la ville, chaque année, qui est soumis à débats.

Le fait de demander régulièrement leur avis aux citoyens permet de développer chez eux une volonté de participer à toutes les décisions qui les concernent, où que ce soit. 18 habitants de ma petite ville ont décidé, avec parfois de petits moyens de venir ici, à New York, pour dire leur rêve de voir le monde débarrassé de la menace nucléaire. Ils sont mandatés par des centaines de citoyens qui ont signé la pétition dans ce but. J’espère être leur fidèle porte parole dans cette salle illustre.

La situation des puissances nucléaires est particulière : signataires du TNP, elles consacrent chaque année un budget très important pour maintenir leur capacité d’intervention et de destruction massive, au détriment, partout, d’autres politiques qui favorisent le bien être de leur population.

En France, ce choix-là est celui d’un seul homme, d’un homme seul : le Président de la république.

Pour nous, villes de Paix françaises, c’est une anomalie. On pourrait penser que le sujet du maintien ou non de la dissuasion nucléaire est un élément des débats contradictoires qui précèdent l’élection du Président de la république française: ce n’est pas le cas.

L’association française des communes pour la paix a questionné tous les candidats à la présidence en 2007 sur deux sujets : l’instauration en France de la journée internationale de la paix et l’adoption du protocole Hiroshima-Nagasaki : seuls deux d’entre eux ont répondu, dans un sens très favorable, et la question n’a jamais été évoquée lors du débat entre les deux finalistes. Eux n’avaient pas répondu. Cela montre bien la difficulté à faire entrer cette question essentielle pour la survie de l’Humanité dans le champ démocratique, y compris dans des pays où la démocratie est ancrée dans l’histoire depuis longtemps.

Mais nous ne renonçons pas. En 2012, pour les prochaines élections présidentielles, l’AFCDRP essaiera encore de faire bouger les choses, en questionnant les candidats et les partis politiques, nos partis politiques.

Nous pensons que le fait d’évoquer ces questions dans nos villes, directement avec les citoyens, est un bon moyen pour qu’ils exigent, à d’autres niveaux, à d’autres moments, d’être consultés.

Dans nos villes, il ne fait aucun doute que l’immense majorité des citoyens français sont favorables à l’abolition de notre arsenal nucléaire, et cela des campagnes d’information régulières suffisent à le confirmer.

La culture guerrière veut que l’on recherche en permanence l’égalité ou la supériorité des armes. L’exigence de non prolifération n’est crédible que si il y a un engagement clair, daté, à se désarmer soi-même. C’est vrai pour tous les types d’armes, cela l’est évidemment aussi pour les armes nucléaires.

C’est pourquoi nous souhaitons que tous les plans qui sont proposés et qui vont dans ce sens, et en particulier le plan en 5 points porté par M. le secrétaire général de l’ONU soient examinés avec la conscience d’une urgence extrême par les états détenteurs d’arsenaux. La nouveauté, c’est que ce même message est adressé, à travers les 3800 villes qui font Mayors for Peace, par une part très significative de représentants élus de la population mondiale, et donc de la population mondiale elle-même. Bientôt 4000 villes feront partie du réseau, ce seront plus d’un milliard d’individus qui exigeront, par la voix de leurs maires élus la fin de la peur atomique.

Notre réseau comprend nombre de villes martyres à travers le monde, sur tous les continents. Cela illustre le fait que ce sont les civils, les citadins, qui fournissent le contingent le plus important de victimes dans les conflits. C’était le cas à Hiroshima et Nagasaki, c’est aussi le cas de Guernica, de Nankin, d’Oradour sur Glane en France, de Lidice en ex-Tchécoslovaquie, de Coventry, de Dresde, de Semipalatinsk au Kazahkstan et de New York. Dans chacune de ces villes, on entretient la mémoire des victimes et ce n’est pas le sentiment de vengeance qui domine, mais la nécessité que cela ne se reproduise plus.

Au plus près des citoyens Français, les maires de France sont bien placés pour connaître les aspirations profondes du peuple. Nous savons que notre peuple serait particulièrement fier que la France soit le premier pays à s’engager ainsi, sans restriction, sans attendre la signature d'un autre état; simplement pour elle-même, et pour toutes les raisons que je viens d'évoquer. L’Humanité a plus que jamais besoin de bonnes nouvelles.

Un poète français est mort il y a quelques semaines. Il mettait sur ses vers sa voix chaude et sa musique. A propos de la Paix sur la Terre, Jean Ferrat écrivait il y a 19 ans :

« la Force de la France c’est l’esprit des Lumières
Cette petite flamme au cœur du monde entier
Qui éclaire toujours les peuples en colère
En quête de justice et de Liberté…
…Halte aux armes nucléaires,
Halte à la course au néant »

Notre vœu c’est que la France renoue avec cet esprit-là, et que nos représentants se souviennent que notre Nation n’a jamais été aussi grande qu‘au moment des Lumières. Et qu’ils écoutent, à nouveau, nos poètes.

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